Réforme de la procédure d’injonction de payer

7 Mar 2022

Le décret n°2021-1322 du 11 octobre 2021 relatif à la procédure d’injonction de payer, aux décisions en matière de contestation des honoraires d’avocat et modifiant diverses dispositions de procédure civile, complété par un décret n°2022-245 du 25 février 2022 favorisant le recours à la médiation, portant application de la loi pour la confiance dans l’institution judiciaire et modifiant diverses dispositions et un arrêté du 24 février 2022 pris en application de l’article 1411 du Code de procédure civile, réforment la procédure d’injonction de payer.

Cette réforme, qui entre en vigueur le 1er mars 2022, poursuit un objectif louable de simplification de la procédure.

Nous vous proposons de vous exposer chacune des étapes de la procédure impactées par ce décret, en vous présentant la nouvelle rédaction des articles 1407 et suivants du Code de procédure civile, dans leur version applicable au 1er mars 2022. Les dispositions impactées par le récent décret n°2020-245 du 25 février 2022 et l’arrêté du 24 février 2022 sont précisées en orange dans le présent focus.

 

 

1. Le dépôt de la requête en injonction de payer

 

Le nouvel article 1407 du Code de procédure civile précise que : « La demande est formée par requête remise ou adressée, selon le cas, au greffe par le créancier ou par tout mandataire. Outre les mentions prescrites par l’article 57, la requête contient l’indication précise du montant de la somme réclamée avec le décompte des différents éléments de la créance, le fondement de celle-ci ainsi que le bordereau des documents justificatifs produits à l’appui de la requête. Elle est accompagnée de ces documents. »

 

Le législateur exige désormais que la requête en injonction de payer contienne un bordereau des pièces justifiant la demande, lesquelles doivent toujours être produites à l’appui de la requête.

 

 

2. L’acceptation de la requête en injonction de payer

 

Le sort des documents remis au greffe

 

Le nouvel article 1410 du Code de procédure civile prévoit que « L’ordonnance portant injonction de payer et la requête sont conservées à titre de minute au greffe.

En cas d’acceptation de la requête, le greffe remet au requérant une copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire et lui restitue les documents produits.

En cas de rejet de la requête, celle-ci et les documents produits sont restitués au requérant. »

 

Le décret supprime la mention selon laquelle « les documents produits à l’appui de la requête sont provisoirement conservés au greffe ».

Le décret n°2022-245 du 25 février 2022 et l’arrêté du 24 février 2022 apportent des précisions quant au sort des pièces jointes à la requête, une fois l’ordonnance rendue. Il convient de distinguer en fonction des modalités de dépôt de la requête en injonction de payer :

  • si la requête est déposée en format papier: le greffe retourne l’ordonnance et les pièces justificatives. L’huissier de justice en charge de la signification de l’ordonnance portant injonction de payer dépose les pièces dans un coffre-fort numérique sur le site mespieces.fr. Le système génère un identifiant de connexion et un mot de passe qui permet ensuite au débiteur d’avoir accès aux pièces en ligne.
  • si la requête est déposée par voie électronique via IP NET : le système reverse automatiquement les pièces dans le coffre-fort numérique et génère l’identifiant de connexion ainsi que le mot de passe qui sont retournés à l’huissier de justice déposant.

La Chambre nationale des Commissaires de Justice a précisé que « la génération du coffre-fort électronique ne comportera pas de coûts supplémentaires par rapport à l’utilisation d’IP NET (1.80 euros TTC par dossier) ». Il s’agit ici d’un débours à la charge du débiteur.

 

La suppression de la phase « provisoire » de l’injonction de payer

 

Il s’agit ici de la grande nouveauté de la réforme : en cas d’acceptation de la demande, l’ordonnance portant injonction de payer est immédiatement revêtue de la formule exécutoire par le greffe.

Le législateur supprime ici la phase « provisoire » de l’injonction de payer, par laquelle le créancier porteur de l’ordonnance d’injonction de payer, fait procéder à la signification de cette dernière par acte d’huissier de justice, ouvrant ainsi au débiteur un délai d’un mois pour former opposition.

Jusqu’à présent, ce n’est qu’à l’expiration de ce délai d’un mois et en l’absence d’opposition que le créancier est fondé à demander au greffe l’apposition de la formule exécutoire [en pratique, le greffe autorise le créancier ou l’huissier de justice le représentant à adresser la demande d’apposition de formule exécutoire dès signification de l’ordonnance provisoire].

La réforme entraîne l’abrogation de l’article 1423 du Code de procédure civile puisque le créancier n’a plus à demander l’apposition de la formule exécutoire. En effet, la formule exécutoire est apposée automatiquement par le greffe pour toutes les ordonnances rendues à compter du 1er mars 2022.

 

En l’absence de précision contraire, il semble évident et bienheureux que le créancier dont la demande n’aura été acceptée que partiellement conserve la possibilité de renoncer à la signification de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire, en préférant s’orienter vers une instance contradictoire ou du recouvrement amiable.

 

 

3. La signification de l’ordonnance d’injonction de payer revêtue de la formule exécutoire

 

Le contenu de l’acte de signification

 

Le nouvel article 1411 du Code de procédure civile, modifié par le décret du 25 février 2022, dispose que « Une copie certifiée conforme de la requête accompagnée du bordereau des documents justificatifs et de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire est signifiée, à l’initiative du créancier, à chacun des débiteurs. L’huissier de justice met à disposition de ces derniers les documents justificatifs par voie électronique selon des modalités définies par arrêté du garde des sceaux, ministre de la justice.

Si les documents justificatifs ne peuvent être mis à disposition par voie électronique pour une cause étrangère à l’huissier de justice, celui-ci les joint à la copie de la requête signifiée.

L’ordonnance portant injonction de payer est non avenue si elle n’a pas été signifiée dans les six mois de sa date. »

 

Le nouvel article 1413 du Code de procédure civile dispose que « A peine de nullité, l’acte de signification de l’ordonnance portant injonction de payer contient, outre les mentions prescrites pour les actes d’huissier de justice, sommation d’avoir :

  • soit à payer au créancier le montant de la somme fixée par l’ordonnance ainsi que les intérêts et frais de greffe dont le montant est précisé ;
  • soit, si le débiteur a à faire valoir des moyens de défense, à former opposition, celle-ci ayant pour effet de saisir le tribunal de la demande initiale du créancier et de l’ensemble du litige.

Sous la même sanction, l’acte de signification :

  • indique de manière très apparente le délai dans lequel l’opposition doit être formée, le tribunal devant lequel elle doit être portée ainsi que les modalités selon lesquelles ce recours peut être exercé ;
  • avertit le débiteur qu’à défaut d’opposition dans le délai indiqué il ne pourra plus exercer aucun recours et pourra être contraint par toutes voies de droit de payer les sommes réclamées. »

 

Puisque l’ordonnance portant injonction de payer est immédiatement revêtue de la formule exécutoire par le greffe, il n’est plus question de signification de l’ordonnance provisoire. Ne demeure qu’un seul acte de signification : la signification de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire.

Le législateur précise les mentions obligatoires qui doivent figurer dans l’acte de signification :

  • la mention de la signification de la copie certifiée conforme de la requête et de l’ordonnance portant injonction de payer revêtue de la formule exécutoire ;
  • l’identifiant de connexion et le mot de passe permettant d’accéder aux pièces sur le site mespieces.fr ;
  • le délai d’un mois dans lequel l’opposition doit être formée ;
  • le nom et l’adresse du tribunal devant lequel l’opposition doit être formée ;
  • les modalités d’exercice du recours.

Aussi, pour toutes les ordonnance rendues à compter du 1er mars 2022, il n’est désormais plus possible de signifier un commandement de payer avant saisie-vente dans l’acte de signification d’ordonnance d’injonction de payer exécutoire. La délivrance du commandement de payer, tout comme tout acte de procédure d’exécution, ne pourra intervenir qu’une fois le titre devenu exécutoire à l’expiration du délai d’opposition.

 

Il est à noter que la Chambre nationale des Commissaires de Justice a communiqué le 5 mars 2022 relativement à la préservation de la confidentialité des identifiants communiqués par le site mespieces.fr lorsque l’ordonnance est rendue contre plusieurs débiteurs. Elle précise que « la présence sur un acte d’identifiants communs à plusieurs codébiteurs doit être considérée comme contraire au RGPD, y compris lorsqu’il s’agit d’époux. » Elle en conclut que la solution qui s’impose « est de procéder à la signification d’un acte par destinataire. »

 

L’opposition à injonction de payer

 

Le nouvel article 1415 du Code de procédure civile prévoit que « L’opposition est portée, selon le cas, devant la juridiction dont le juge ou le président a rendu l’ordonnance portant injonction de payer. Elle est formée au greffe, par le débiteur ou tout mandataire, soit par déclaration contre récépissé, soit par lettre recommandée. Le mandataire, s’il n’est avocat, doit justifier d’un pouvoir spécial. A peine de nullité, l’opposition mentionne l’adresse du débiteur. »

Un nouvel article 1419-1 du même code est créé afin de préciser que « Le désistement du débiteur qui a formé opposition obéit aux règles prévues aux articles 400 à 405 [du Code de procédure civile]. »

L’article 1422 du même code est remplacé par les dispositions suivantes : « Quelles que soient les modalités de la signification, le délai d’opposition prévu au premier alinéa de l’article 1416 est suspensif d’exécution. L’opposition formée dans ce délai est également suspensive.

L’ordonnance ne constitue un titre exécutoire et ne produit les effets d’un tel titre ou d’une décision de justice qu’à l’expiration des causes suspensives d’exécution prévues au premier alinéa. Elle produit alors tous les effets d’un jugement contradictoire. Elle n’est pas susceptible d’appel même si elle accorde des délais de paiement. »

 Enfin, l’article 1423 et l’article 1424 sont abrogés.

 

C’est le point d’orgue de cette réforme : l’ordonnance, bien que revêtue de la formule exécutoire, n’est pas pour autant exécutoire dès son prononcé.

Quelles sont les spécificités de ce recours ?

 

Le délai d’opposition est un délai d’un mois. Elle peut être effectuée par déclaration au greffe ou par lettre recommandée au greffe de la juridiction ayant rendu l’ordonnance, à charge pour le débiteur de préciser l’adresse de son domicile.

Ce délai court à compter de la signification de l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire et est suspensif d’exécution, et ce quelles que soient les modalités de signification de l’acte. L’opposition formée par le débiteur est également suspensive d’exécution, dans l’attente du jugement statuant sur l’opposition.

En cas d’opposition, le greffier convoque les parties à l’audience par lettre recommandée avec demande d’avis de réception. Il est adressé par le greffe au créancier une copie de la déclaration d’opposition.

En définitive, l’ordonnance revêtue de la formule exécutoire ne devient un titre exécutoire fondant les poursuites du créancier qu’à l’expiration du délai d’opposition d’un mois, à l’unique condition bien sûr qu’aucune opposition n’ait été formée. A défaut, le jugement sur opposition se substitue à l’ordonnance (article 1420 du Code de procédure civile).

 

Il est ici à noter que la Chambre nationale des Commissaires de Justice recommande à tout huissier de justice requis pour l’exécution d’une ordonnance portant injonction de payer postérieure au 1er mars 2022 de solliciter du greffe l’obtention d’un certificat de non-opposition, soit en format papier, soit en format numérique lorsque la requête a été déposée via IP NET.

 

Enfin, l’article 1416 alinéa 2 du Code de procédure civile, lequel prévoit que « si la signification n’a pas été faite à personne, l’opposition est recevable jusqu’à l’expiration du délai d’un mois suivant le premier acte signifié à personne ou, à défaut, suivant la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur », n’est pas abrogé par le décret.

Ainsi, quelles que soient les modalités de signification, l’ordonnance devient un titre exécutoire autorisant la mise en œuvre de mesures d’exécution à la condition qu’aucune opposition n’ait été formée dans le délai d’un mois.

Toutefois, le débiteur qui n’a pas été touché en personne par la signification conserve la possibilité de former opposition, et donc de remettre en cause le titre fondant le recouvrement judiciaire, dans le délai d’un mois à compter :

  • du premier acte remis à personne ;
  • de la première mesure d’exécution ayant pour effet de rendre indisponibles en tout ou partie les biens du débiteur.